[…] une fois qu’elle avait fini de coiffer Madame à qui on peut au moins reconnaître une qualité, son attachement aux coiffures ancestrales des femmes de son peuple, elle ne porte ni perruques, ni rajouts, ne se défrise pas les cheveux, Masasi les natte, lui traçant d’ambitieux motifs sur le crâne, c’est une oeuvre graphique qu’elle réalise, et avec quelle précision, c’est comme un langage, ces lignes qui se croisent, une forme d’écriture ou, peut-être, plutôt, d’art à la fois abstrait et tangible, cela renseigne sur le mouvement d’une pensée qui n’est pas seulement celle de Masasi, je veux parler d’une vision du monde, c’est ce qui se dessine lorsqu’elle sépare les mèches à l’aide d’un piquant de porc-épic après les avoir démêlées, au-delà de ce qui relève de la culture commune, il y a le caractère de la tresseuse, sa créativité, dès le premier jour cela m’a frappée, j’ai constaté qu’elle avait un projet, une idée, comme un schéma en tête, elle ne se lançait pas au hasard ni ne propulsait les motifs dans le vent, elle façonnait sa propre mode.
[…] Madame […] avait pris place sur un tabouret haut, permettant à Masasi de se mouvoir autour de sa matière, comme une sculptrice ayant besoin que tous les angles soient dégagés […]
[…] elle s’emparait du menton de Madame, s’en saisissait du bout des doigts, lui faisait lever le visage, tourner la tête de gauche à droite, de droite à gauche, semblait découvrir ses traits, se mettait à concevoir, examinant son matériau, un projet de création et, quand elle lâchait ce menton, qu’elle démêlait les cheveux avant de tracer la première raie à l’aide d’un piquant de porc-épic noir strié de blanc, c’était pour exécuter une oeuvre que jamais encore elle n’avait créée, une sculpture éphémère dont il se subsisterait de trace que si Madame se faisait prendre en photo.
Masasi travaillait pour le plaisir de faire apparaître de la beauté, ses doigts agiles glissaient sur le cuir chevelu de ta mère, croisant entre elles de fines mèches de cheveux, parfois si fines qu’on les voyait à peine, un jour, c’était pour dresser une crête aux pointes courbées, comme pour exprimer une autorité non agressive mais bien présente, une autre fois, elle lui faisait une frange nattée, tombant en biais sur le front, puis, ayant séparé le reste de la chevelure en deux, elle tressait, de part et d’autre du crâne, une série de renversées – c’est ainsi que l’on appelle ces nattes – parfaitement régulières, aboutissant sur la nuque de ta mère comme les couettes d’une fille mutine, celles d’une princesse cheyenne ou apache, la tresseuse avait toutes les audaces, la tressée les acceptait sans jamais s’en plaindre […]
Les extraits ci-dessus proviennent du roman Crépuscule du tourment de Léonora Miano, que vous pouvez découvrir ici.
C’est un roman fascinant, qui m’a accompagnée à Prague et qui m’a envoûtée. Les tresses et les coiffures n’en sont évidemment pas le sujet principal, mais ce sont des passages qui m’ont particulièrement plu étant donné mon intérêt pour le sujet. Et j’ai eu envie de les associer à ces photos du regretté photographe nigérian JD Okhai Ojeikere qui, lui aussi, considérait ces coiffures africaines vintage comme des sculptures.
Si vous me suivez depuis un moment, vous connaissez déjà la passion poétique que je nourris pour les cheveux et les tresses.
Si ce n’est pas le cas, je vous laisse le redécouvrir à travers ce triptyque Capillotractée, également publié dans mon recueil Métisse. Et alors ? :
– Capillaridentité
– Wa bla da nou mi
– Texture afropéenne
Crépuscule du tourment
Léonora Miano
Ed. Grasset, 2016
Un ouvrage dont je vous reparlerai très certainement, une fois que j’aurai lu le deuxième tome qui vient tout juste de paraître.
Le voici ici, dans mon petit coin de lecture du soir de ma chambre pragoise :
Ces coiffures sont effectivement des œuvres d’art. Elles sont certes spectaculaires mais les cheveux me paraissent souffrir, d’où un léger malaise qui me saisit quand je les regarde. J’éprouve la même chose devant des coiffures européennes très élaborées au demeurant, c’est le fait de transformer autant le cheveu qui me gêne un peu.
Je me souvenais de ton triptyque « Capillotractée ». dans ton recueil « Métisse, et alors ? », car je l’avais beaucoup aimé, et j’ai eu beaucoup de plaisir à relire tes mots.
Je comprends ton ressenti, mais je peux t’assurer que lorsqu’on a une bonne coiffeuse/tresseuse (ou un bon coiffeur/tresseur), le cheveu ne souffre pas. J’aime me faire tresser et je m’assoupis souvent sous les mains de ma coiffeuse/tresseuse actuelle. Certains des types de coiffures qu’on voit ici sont même qualifiés de coiffures protectrices car une fois réalisées, on les garde plusieurs jours, voire plusieurs semaines, ce qui évite de manipuler le cheveu. Les pointes sont protégées, la casse limitée et la pousse favorisée.
Merci pour tes explications Patricia Houéfa. Tant mieux si le cheveu ne souffre pas, cela va me permettre d’apprécier pleinement ce magnifique travail de coiffage/tressage.
🙂