Poème original des Sept tasses de thé de Lu Tung
Dans son numéro 5 « Woks et Marmites » paru en février dernier, la revue Jentayu publie le poème L’univers dans une tasse de thé de V. Vajiramedhi (Thaïlande). Superbe poème, traduit par Marcel Barang, qui m’a énormément plu.
Après sa lecture, j’avais évoqué, sur Facebook, en discutant avec des lecteurs et sympathisants de la revue, d’autres poèmes inspirés par le thé. En particulier du poème intitulé Les sept tasses de thé ou Le chant du thé de Lu Tung (790-835), poète de la Dynastie Tang, davantage connu pour sa passion du thé que pour ses poèmes, et surnommé « le fou du thé ».
Ce poème est fascinant non seulement parce qu’il décrit avec précision les effets du thé sur le buveur, mais surtout (pour moi) parce qu’il est rare d’en trouver deux traductions exactement semblables dans les différents ouvrages sur le thé, la poésie chinoise, ou les deux, qui le citent !
Alors, pour le plaisir de la poésie et de la traduction – mais aussi pour faire un tout dernier clin d’oeil à ce numéro 5 de Jentayu, à quelques semaines de la parution du numéro 6 – voici sept traductions françaises différentes de ces sept tasses de thé, mais on peut en trouver bien d’autres !
(Je n’ai adopté aucun ordre particulier pour vous les présenter, c’est un peu au hasard)
La première tasse humecte mes lèvres et ma gorge.
La deuxième bannit ma solitude.
La troisième dissipe la lourdeur de mon esprit, rendu confus par tant de lecture.
La quatrième exhale une légère transpiration, dispersant par mes pores toutes afflictions de la vie.
La cinquième me purifie.
La sixième m’ouvre le royaume des immortels.
La septième, ah que ne puis-je en boire d’avantage !
Je ne perçois plus le souffle du vent qui enfle mes manches.
Transporté par cette douce brise, je gagne les cieux.
La première tasse humecte mes lèvres et ma gorge
La deuxième bannit ma solitude
La troisième dissipe la lourdeur de mon esprit, rendu confus par tant de lecture
La quatrième exhale une légère sueur, dispersant par mes pores les afflictions de la vie
La cinquième me purifie
La sixième m’ouvre le royaume des Immortels
La septième, ah que ne puis-je en boire davantage!
Où est P’eng-lai-chan ?
(île des Immortels, l’un des paradis taoïstes, où se trouve l’arbre à Soleils).
Laissez-moi chevaucher cette douce brise et m’envoler loin d’ici !
La première tasse onctueusement humecte lèvres et gosier ; la deuxième bannit toute ma solitude ; la troisième dissipe la lourdeur de mon esprit, affinant l’inspiration acquise par tous les livres que j’ai lus. La quatrième produit une légère transpiration, dispersant par mes pores les afflictions de toute une vie. La cinquième tasse purifie tous les atomes de mon être. La sixième me fait de la race des Immortels.
La septième est la dernière… Je n’en puis boire davantage.
La première humidifie mes lèvres et ma gorge
La seconde rompt ma solitude
La troisième explore mes entrailles sèches et y trouve cinq milles livres
La quatrième provoque une légère sueur
Et évacue toutes les anxiétés du quotidien par mes pores
La cinquième purifie ma chair et mes os
La sixième m’appelle parmi les immortels
La septième, je ne puis la boire,
un souffle de vent frais fait voler mes manches
la première tasse humecte lèvres et gosier
la deuxième tasse chasse solitude et mélancolie
la troisième tasse va fouiller mes entrailles desséchées
n’y trouvant que cinq mille rouleaux d’écrits
à la quatrième tasse transpire une légère sueur
les contrariétés de toute ma vie,
par tous les pores de ma peau, se dissipent
la cinquième tasse purifie chair et os
la sixième tasse me fait communier avec les immortels
la septième tasse, peut-être n’aurais-je pas dû la boire
aussitôt un vent frais naît sous mes aisselles
La première tasse humecte mes lèvres et mon gosier
La deuxième rompt ma solitude
La troisième fouille mes entrailles mises à nu et y débusque mille volumes d’étranges idéogrammes
La quatrième suscite une légère sueur
et tout le noir de ma vie se dissout à travers mes pores
A la cinquième tasse, je suis purifié
La sixième m’expédie au royaume des Immortels
La septième ah, je ne saurais en absorber davantage !
Je sens seulement un souffle de vent frais gonfler mes manches.
Où est Peng Lai Shan* ?
Ah ! Laissez-moi chevaucher cette douce brise et m’envoler loin d’ici !
* Peng Lai Shan : un des paradis taoïstes
Le premier bol humecte onctueusement mes lèvres et ma gorge.
Le deuxième bannit toute ma solitude.
Le troisième dissipe la lourdeur de mon esprit,
Affinant l’inspiration acquise par tous les livres que j’ai lus.
Le quatrième produit une légère transpiration
Dispersant par mes pores les afflictions de toute une vie.
Le cinquième purifie tous les éléments de mon être.
Le sixième m’inscrit dans la race des Immortels.
Le septième est le dernier … je ne puis boire davantage.
Remarque : Cette dernière traduction est la seule que j’ai trouvé qui utilise le terme « bol » et pas « tasse ». A ce niveau-là, c’est peut-être la traduction la plus juste, étant donné qu’en Asie, traditionnellement, on boit le thé dans des bols et pas des tasses. Cependant, je ne lis pas du tout le chinois et ne peux donc pas vérifier ce qui est dit à l’origine en chinois.
Et vous prendrez bien une huitième et dernière tasse en anglais ?
(A noter qu’ici aussi, le terme choisi est « bowl » à savoir « bol », et pas « cup » pour « tasse »).
The first bowl moistens my lips and throat; 一碗喉吻潤,
The second bowl breaks my loneliness; 二碗破孤悶,
The third bowl searches my barren entrails but to find 三碗搜枯腸,
Therein some five thousand scrolls; 惟有文字五千卷,
The fourth bowl raises a slight perspiration 四碗發輕汗,
And all life’s inequities pass out through my pores; 平生不平事盡向毛孔散,
The fifth bowl purifies my flesh and bones; 五碗肌骨清,
The sixth bowl calls me to the immortals. 六碗通仙靈,
The seventh bowl could not be drunk, 七碗吃不得也,
only the breath of the cool wind raises in my sleeves. 唯覺兩腋習習清風生。
Where is Penglai Island, Yuchuanzi wishes to ride on this sweet breeze and go back. 蓬萊山﹐在何處,玉川子乘此清風欲歸去。
Moi , j’ai bien aimé la troisième et la dernière! Bons entretiens avec le thé, c’est une vraie passion!!
Le thé est une passion sans fin, aussi bien en dégustation qu’en lecture !
Passionnante, cette note de blog. Le thé est un art de vivre. C’est une excellente idée de reproduire toutes ces traductions, j’ai un faible pour la deuxième et la dernière.
Oui, tout ce qui touche à la traduction littéraire, et surtout poétique, me passionne de plus en plus aussi. C’est vraiment fascinant ! Pour ma part, j’ai beau boire et re-boire ces traductions (et d’autres) depuis plusieurs mois, je n’arrive pas à en désigner une ou deux qui me plairaient plus que les autres. Je pense qu’elles se complètent et se répondent. Ou alors c’est que j’en ai trop bu !!!