Marcheuses aux semelles de mots

Le 12 mai 2013

Marcheuses aux semelles de mots
Florence Archimbaud et Sylvie Massart
Association Pieds Plumes, janvier 2013

J’ai commencé à vous parler de ce très bel ouvrage il y a quelques jours.

Comme indiqué précédemment, j’ai comme projet de faire le pèlerinage à Compostelle à pied. Je lis donc régulièrement des ouvrages traitant de la question (guides, témoignages, récits de voyage …). Mais celui-ci est vraiment différent des autres et éclaire ce chemin de pèlerinage d’un regard singulier.

Florence et Sylvie, les marcheuses/auteures, ont décidé de faire ce pèlerinage à contre-courant. A tous les niveaux, ou presque. La plupart des marcheurs partent au printemps et en été ? Elles marcheront en automne et en hiver. La grande majorité des pèlerins n’effectue que l’aller à pied ? Et bien, elles feront l’aller-retour en empruntant, grosso modo, une voie à l’aller et une autre au retour. On recommande de partir seul ? Elles partiront à deux ! Il est conseillé aux femmes de ne pas se charger de plus de 8 kg ? Tant pis, elles ne sont pas prêtes à sacrifier certains essentiels de leurs sacs à dos tels que le réchaud, la gamelle, la provision de thé …

J’ai été assez décontenancée par ce regard qui bouleversait le projet de pèlerinage tel que j’avais commencé à le construire dans ma tête ! Du coup, mon projet est en train d’évoluer …

J’ai également été séduite par le fait qu’elles n’aient pas voulu vivre cette « aventure » seules, qu’elles aient voulu la partager, d’abord à deux, mais encore avec des personnes qui leur ont offert des verbes. Elles ont recopié ces verbes sur des guirlandes de drapeaux de tissu léger – semblables aux guirlandes de drapeaux de prières tibétains – qu’elles ont accrochées à leurs sacs et qu’elles ont donc semés aux vents de France et d’Espagne.

Ces drapeaux qui rappellent les temples tibétains ne sont pas la seule évocation de l’Asie. Cette dernière (en particulier le Japon) et le zen imprègnent complètement cet ouvrage. Dès la photo de couverture, présentant une marcheuse sur un pont embrassé de brume, qui fait penser à une estampe japonaise. Les auteures le revendiquent d’ailleurs, elles qui ont achevé leur pèlerinage à l’abbaye de Cîteaux qui accueillait un maître zen d’un monastère de Kyoto, pour participer à une séance de méditation, passant ainsi du mouvement de la marche à l’immobilité.

Vous verrez que ce livre est plein de détours par le Japon, peut-être parce que notre premier pèlerinage fut celui de l’île de Shikoku, et plus encore parce que c’est pour nous un détour quotidien dans la pratique des arts martiaux. Dans le calendrier des saisons orientales, l’automne et plus encore l’hiver sont les saisons du retour sur soi, les périodes où l’on se recharge en énergie avec la nature en attendant les grandes explosions du printemps et les moissons de l’été.

Ce que j’ai également beaucoup aimé, c’est le concept et la présentation de l’ouvrage. Des parties « pas à pas » correspondant à un récit de voyage/témoignage alternent avec des parties « mot à mot » dans lesquelles les auteures ont repris les verbes qui flottaient sur leurs drapeaux : Florence Archimbaud a joué avec certains d’entre eux pour en tirer des textes facétieux, poétiques, méditatifs et pour d’autres, elle a emprunté des textes à des auteurs appréciés des deux marcheuses.
Il y a également quelques photos prises par les auteures au long de leur chemin.
Tout ceci en fait un ouvrage réellement riche et agréable à lire, parcourir.

J’avais déjà publié quelques extraits autour de la marche ici.

En voici deux autres pour finir :

Mot à mot : Oser

Dessiner un panier d’OSER
Sans filet, sans précaution, sans garantie.
Oser précède les autres verbes.

Mot à mot : Faire silence

(…)
Le gong résonne. Un coup. Plus qu’une poignée de secondes pour ajuster sa posture, se débarrasser de tout geste superflu, placer sa main gauche sur la droite, discipliner les pouces qui doivent s’effleurer sans former ni creux ni vague.
Puis le gong à nouveau. Deux fois. Ces trois longues vibrations emplissent intégralement l’espace. Trois sons qui tentent d’entrer en résonance avec chaque personne pour passer un message simple : place au silence absolu. La première méditation de la seishin peut commencer. Vingt à vingt-cinq minutes d’assise, le temps nécessaire au bâton d’encens pour disperser ses volutes parfumées, le temps indispensable pour que chaque être intérieur, s’affine, s’harmonise pour se rejoindre tous.

***

Avant de marcher vers Compostelle, Florence et Sylvie avaient passé cinq ans à faire le tour du monde à vélo.

Merci à mon frère, marcheur rêveur, de m’avoir offert ce très beau livre !



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