« Le journal intime d’un arbre »
Didier Van Cauwelaert
Editions Michel Lafon, 2011
(Ici version Livre de Poche, mai 2013)
Vous savez que j’aime les arbres et que j’entretiens une relation privilégiée avec eux. J’ai eu envie de plonger dans les pages de ce livre dès sa publication. Mais c’est finalement il y a une semaine que nous nous sommes rencontrés et que je l’ai savouré à petites gouttes pour profiter plus longtemps de sa compagnie ! J’en ai lu les dernières lignes ce matin, il me manque déjà !
L’histoire commence le jour de la chute de Tristan, poirier tricentenaire et narrateur de l’ouvrage. A partir de là, à travers un jeu d’aller-retour dans le temps (passé, présent, futur), on voyage dans la mémoire, l’inconscient et l’histoire de l’arbre, à travers la mémoire, l’inconscient et l’histoire de toutes les personnes qui l’ont croisé. L’auteur a tissé la trame de ce petit bijou-doudou en y mêlant histoire, science, amour de la nature en général et des arbres en particulier et fantastique. Cela donne un ouvrage singulier et instructif tout en étant très agréable à lire.
Voilà, je n’en dirai pas plus. Juste vous citer ici un de mes passages favoris qui arrive en fin d’ouvrage :
« Je ne sais combien d’années ont passé. (…) je prends de loin en loin des nouvelles du monde. Il va très mal ou beaucoup mieux, suivant l’angle choisi. Il y a de moins en moins de guerres religieuses, économiques, ethniques – mais simplement parce qu’il y a de moins en moins d’humains. Vous étiez prévenus. Vous auriez eu le temps de réagir.
La découverte scientifique majeure du précédent siècle, due à l’intelligence trop foisonnante de Lord Hatcliff, vous ne l’avez pas prise au sérieux, elle ne vous a pas inspiré la moindre inquiétude avant que ses conséquences ne vous déciment. Pourtant, c’était dans l’ordre des choses : nous avons synthétisé vos hormones féminines, et nous les avons diffusées dans nos pollens en modifiant les dosages, comme nous le faisons depuis des millénaires afin de stériliser les prédateurs quand ils menacent notre survie.
Mais ça ne suffisait pas. Vos désherbants, vos pesticides et vos OGM étaient sur le point de détruire totalement les abeilles. Si nos fleurs n’étaient plus fécondées, presque tous les fruits et légumes allaient disparaître. Alors nous avons dû agir sur votre court terme. Désormais, nos pollens transportent également une dose massive de cortisol, l’hormone de la dépression profonde.
Nos méthodes de régulation font des progrès, voyez, elles aussi. Inciter le prédateur au suicide est la solution la plus écologique que nous ayons trouvée, pour que la planète dont nous sommes les gardiens demeurent vivante et viable.
(…)
Le déstockage humain qui aura marqué la fin du XXIè siècle, en lieu et place du réchauffement climatique et de l’hiver nucléaire que prédisaient vos experts, n’est pas le Jugement dernier, mais c’est votre chance ultime. Car beaucoup d’entre vous, du coup, développent des gènes résistants à la dépression suicidaire. Ceux qui savent que le but de la présence sur terre, pour toutes les formes de vie, est l’accroissement de la connaissance à travers l’empathie, et que cette fonction ne peut s’accomplir dans la haine, l’aveuglement égoïste ou le désespoir.
Contre toute attente, la sélection naturelle qui est en train de s’opérer au sein de votre espèce est donc celle de l’amour, de l’intelligence et de la joie de vivre. »
***
Vision prémonitoire de l’auteur ? J’avoue que cela me plairait bien !
Je précise quand même des extraits des notes de Didier Van Cauwelaert en fin d’ouvrage :
« Un mot encore sur Jean-Marie Pelt. Durant plus de vingt ans, les travaux et l’amitié de ce grand botaniste ont préparé mon voyage dans la conscience de l’arbre. C’est lui qui m’a signalé les deux découvertes capitales que je prête à son confrère fictif Clarence Hatcliff : celle des hormones au moyen desquelles certains végétaux stérilisent les insectes prédateurs, et la présence dans leur pollen de progestérone et d’oestrone, à un dosage qui n’est pas sans rappeler le principe de notre pilule contraceptive. Inexpliquée et donc passée sous silence, cette initiative de la nature est bien réelle.
Je tiens toutefois à préciser qu’à ce jour, pour autant que je sache, seule mon imagination a fait produire aux végétaux le cortisol, l’hormone de la dépression profonde. »
***
Dans cet ouvrage, sans vouloir trop en dire pour ceux d’entre vous qui ne l’auraient pas encore lu mais souhaitent le faire, Tristan, le poirier, naît de graines de poire ayant germé de l’estomac d’enfants sacrifiés et il trouvera une nouvelle naissance en regermant des graines semées par la bouche d’une enfant suppliciée. Ce cycle de vie sans fin, de la graine au fruit, du fruit à l’arbre, de l’arbre au fruit, du fruit à la graine, etc., m’a beaucoup touchée.
Cela m’a un peu rappelé mon poème « Chant tellurique à la Pachamama » qui figure dans mon ouvrage « Paroles arboricoles – Poèmes animistes »
J’ai apprécié aussi les pages que tu cites. Et j’ai aimé le livre dans ses grandes lignes aussi (celles que tu soulignes) mais j’ai regretté l’éparpillement qui survient à mi-bouquin.
Ah ? Je n’ai pas trouvé qu’il s’éparpillait 😉
Je ne me suis vraiment pas ennuyée une seconde avec cet ouvrage ! En même temps, il est très court et peut se lire très vite ! Honnêtement, je pense qu’on peut le lire en quelques heures, mais j’ai aimé faire durer le plaisir.
Je viens de le parcourir rapidement à nouveau en diagonale, je n’arrive pas à repérer l’endroit où tu as pu avoir une sensation d’éparpillement …