Papillons de mots

Elle est pas belle la vie ?
Volet II

L’Âge du Non

Oui Papa, Oui Maman
Oui Maîtresse, Oui Monsieur
Bénissez-moi mon Père car j’ai péché
Une vingtaine d’années usées
à vivre en fonction de règles adoptées
sans remise en question
depuis des générations
de décisions prises en ton nom
Et on te faisait miroiter le bel horizon du
« Quand tu seras grande, tu feras ce que tu voudras »
…

Oui, je le fais de suite, Patron
Oui, demain sans faute, chers clients
Oui Monsieur le Banquier, Oui Madame la Société
Te voilà bien grandie
et si loin de faire ce que tu veux
Mise au pas, rêves chloroformés
Et on te fait miroiter le bel horizon du
« Quand tu seras à la retraite, tu feras ce que tu voudras »
…
Non, je ne peux plus payer, je vais devoir déménager
Non, ce n’est pas l’avis de mon médecin
Non, Docteur, je n’y arrive plus, je ne me souviens plus
Désormais les fenêtres ont remplacé les aspirations
pour encadrer toute idée d’horizon
…
Oui Papa, Oui Maman
Bénissez-moi mon Père car j’ai péché
C’est noté, Patron ; Je me range, Dame Société
Rentrer dans le cadre, Revenir dans le moule
Et tu rongeais ton frein
en te tissant des souhaits calqués
sur l’image qu’on t’envoyait du bonheur
Vêtue de ces idéaux taillés sur mesure
pour d’autres vies que la tienne
ton existence craquait aux coutures
Ligatures sur l’envergure de tes ailes
Bâillon jusqu’au fond de la gorge de tes espoirs
Extinction lente du souffle-âme

Alors tu appuies sur pause
Alors tu te reposes
Alors tu te poses les bonnes questions
Au bord
Tout au bord
du passage du midi

Patricia Houéfa Grange
Tous droits réservés

Il y a une quinzaine de jours, j’ai écrit un poème que j’ai intitulé Mythologie des entraves. J’étais sur le point de le publier ici lorsque j’ai repensé à deux autres textes, écrits il y a (bien) des années et qui entrent en résonance avec ce poème. J’ai donc décidé de les publier en un triptyque auquel j’ai donné le titre ironique de Elle est pas belle la vie ? (Oui, j’aime les triptyques comme vous avez pu le remarquer, de textes comme de dessins) Je le publie ici en trois fois, un poème par jour sur trois jours. Hier, j’ai partagé avec vous Tabouret, le premier poème de ce triptyque.
L’Âge du Non, ci-dessus, en est le deuxième volet. C’est un texte que j’ai commencé à écrire il y a environ cinq ans, à quelques encablures de la quarantaine, mais surtout à l’aube d’un double changement de vie (privée puis professionnelle). Pour diverses raisons, après en avoir écrit en un seul mouvement la première ébauche, celle-ci est restée griffonnée telle quelle dans un tiroir de mon bureau, sous des piles de pochettes cartonnées. J’ai repensé à ce texte resté en suspens juste après avoir écrit Mythologie des entraves et j’ai décidé de le retravailler un peu tout en conservant au maximum le jus de départ.
Je ne l’ai pas écrit pour adresser des reproches personnels à qui que ce soit en particulier, mais d’abord de façon cathartique et pour provoquer la réflexion sur nos modes de fonctionnement, leur répétition d’une époque à une autre, la nécessité des remises en question, celle salutaire de savoir dire Non tant qu’il est encore temps…

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