À une semaine de la première date de notre lecture Décimas et Guajiras al Cucalambé, et après vous avoir présenté ce poète, El Cucalambé, je reviens à présent pour vous parler de sa poésie, à savoir de la décima, mais aussi du repentismo, de la controversia, de la guajira et du punto cubano.
Les quatre poèmes du Cucalambé que j’ai traduits pour cette lecture appartiennent au genre de la décima, forme fixe dans laquelle ce poète s’est particulièrement illustré et qui est considéré comme le genre poétique national à Cuba. Il s’agit d’une strophe de dix vers octosyllabiques, à rimes ABBAACCDDC pour ce qui est de la décima cubaine.
La décima est en effet commune à de nombreux pays d’Amérique latine, mais chacun a développé ses propres règles de prosodie.
La décima est profondément enracinée dans la campagne cubaine et son héritage hispanique puisqu’elle a été introduite sur l’île par les paysans venus des îles Canaries et de l’Andalousie aux alentours du XVIIIème siècle. Pour cette raison, décima, repentismo et guajira (musique paysanne associée à la décima) ont longtemps été associés (et le sont encore souvent) au monde blanc, par opposition à la poésie négriste, à la rumba et au guaguancó, associés au monde noir, afro-cubain. Cependant, de nombreux poètes noirs ou métis – parmi lesquels El Cucalambé et Jesús Orta Ruiz dit El Indio Naborí, mais ils sont loin d’être les seuls – ont largement contribué à donner ses lettres de noblesse à la décima et au repentismo. Et inversement, des artistes blancs se sont particulièrement distingués dans les domaines de la poésie négriste, de la rumba et du guaguancó. Toutes ces expressions artistiques sont aujourd’hui le vivant reflet du métissage de cette île des Antilles.
«Repentismo» est le nom spécifique avec lequel on identifie à Cuba l’art de la poésie orale improvisée, une des formes les plus anciennes et universelles d’expression poétique humaine, dont l’essence réside dans le dialogue en vers, la création spontanée et dialogique.
Dans le cas précis de Cuba, cet art est appelé repentismo ou punto cubano (également punto guajiro) et les improvisateurs sont appelés repentistas. On improvise des décimas, des strophes de 10 vers en octosyllabes. Le punto est le nom que l’on donne à la musique d’accompagnement du repentismo, musique dans laquelle les instruments principaux sont le laúd, la guitare, le tres, la clave et le güiro, tous des instruments traditionnels du son Cubano).
Les poètes repentistas cubains improvisent à partir des décimas, de manière alternée avec la musique du punto. Les sujets de l’improvisation sont très variés et universels… bien que le sujet soit souvent le contexte, la circonstance, l’ici et le maintenant. Le repentismo ou punto cubano est, sans aucun doute, la plus importante des traditions populaires, orales, cubaine, d’origine hispanique.
Extrait de Breve acercamiento a la historia de la décima y el repentismo en Cuba par Alexis DÍAZ-PIMIENTA
Dans ses poèmes, El Cucalambé évoque aussi le tiple :
Cousine du repentismo, la controversia est une joute entre poètes et musiciens improvisateurs.
Pour ce qui est de la guajira, « guajiro/guajira » signifie « paysan/paysanne ». Cet adjectif a donné son nom à la guajira qui est un genre musical proche du son cubain, dont les paroles sont habituellement composées en décimas et explorent les thématiques de la vie rurale et de l’amour. Tout comme le punto cubano, la guajira est donc une compagne naturelle de la décima. La plus célèbre des guajiras est certainement Guantanamera. Mais le répertoire cubain en la matière est infiniment riche et beau. Je vous invite notamment à explorer les œuvres de Leo Brouwer, Omar Sosa, Camerata Romeu ou encore Celina y Reutilio auxquels notre lecture rendra également hommage.
Pour revenir au Cucalambé, voici ce que dit, entre autres, de lui, Alexis DÍAZ-PIMIENTA (document ci-dessus) :
EL CUCALAMBÉ fue, con su poética personal, quien llenó la décima de un aire muy cubano, cantó asuntos y paisajes esencialmente nacionales, y ello hizo que fuera tan popular en su época como ninguno de sus contemporáneos y que dejara una huella indeleble entre los campesinos, y por supuesto, entre los improvisadores.
Ningún otro poeta o tendencia literaria ha logrado dejar una huella más clara y duradera en los improvisadores cubanos. De memoria se saben nuestros campesinos, improvisadores y no improvisadores, una gran cantidad de décimas de NÁPOLES FAJARDO, y aún los repentistas de vanguardia, los que se afilian al naborismo y los que se alejan de él, se han visto alguna vez improvisando tras la huella cucalambeana. Precisamente, sólo la figura de EL INDIO NABORÍ, ha logrado acercársele en la influencia y extensión de su obra, ya en la segunda mitad del siglo XX.
Autrement dit :
« A travers sa poétique personnelle, EL CUCALAMBÉ est celui qui a insufflé une atmosphère très cubaine à la décima. Il a chanté des thématiques et des paysages essentiellement nationaux, et c’est pour cela qu’il était si populaire à son époque, comme aucun de ses contemporains ne l’a été, et qu’il a laissé une marque indélébile auprès des paysans, et bien évidemment auprès des improvisateurs.
Aucun autre poète ou tendance littéraire n’a réussi à laisser une marque plus claire et durable auprès des improvisateurs cubains. Nos paysans, qu’ils soient improvisateurs ou non, connaissent par cœur un grand nombre de décimas de NÁPOLES FAJARDO, et on a même vu des repentistas d’avant-guarde, ceux qui se réclament du naborisme et ceux qui s’en éloignent, improviser à l’occasion sur les traces cucalambéennes. Seule la figure de EL INDIO NABORÍ est justement parvenue à s’approcher de l’influence et de l’étendue de son oeuvre, dès la deuxième moitié du XXème siècle ».
EL CUCALAMBÉ et EL INDIO NABORÍ sont deux grands précurseurs de la décima et du repentismo, du XIXème et du XXème siècles. Mais décima, repentismo, controversia et guajira sont toujours bien vivants aujourd’hui, animant guateques et autres manifestations festives. Ils font partie intégrante de l’identité et de l’âme cubaines. Preuve en est, l’émission Palmas y Cañas, l’une des émissions les plus anciennes de la télévision cubaine, considérée comme un guateque télévisé, et qui les met à l’honneur le dimanche soir depuis plus de 50 ans !
Ravie de découvrir d’autres univers poétiques, Patricia! J’en profite pour te saluer bien amicalement et… toutes tes fleurs.
Un immense merci pour ta visite, Monique. Les traductrices et traducteurs sont d’abord et avant tout des passeuses et passeurs. Ravie donc de te faire découvrir de nouveaux chemins en poésie 🙂