Crépuscule barsacais
14 novembre 2015
Photo : Patricia Grange
Hier soir, je me suis couchée tôt. Ce matin, le réveil a été brutal, ahurissant, sidérant … Entendre en sortant du lit : « 120 morts … attentats … fusillade au Bataclan … explosion au Stade de France … tirs rue de Charonne … kamikaze ». Se dire qu’on ne doit pas être encore vraiment réveillée et qu’on nage en plein cauchemar. Avoir envie de pleurer. Puis avoir envie de crier.
Et là, regarder par la fenêtre. Voir un rouge-gorge picorer dans l’herbe en bordure du chemin. Admirer le ballet migratoire des étourneaux au-dessus des vignes. Avoir, comme une fulgurance, cette phrase qui traverse l’esprit, cette phrase-titre d’un recueil poétique de mon amie Claire-Lise Coux : « L’oiseau chante même quand la branche casse ». Ne plus entendre les voix tendues à la télévision. Avoir, malgré soi, cet air qui vient flotter à l’esprit « What a wonderful world ». La Nature qui immédiatement console. La Vie qui te gifle et te dit : « Je suis toujours là. Je serai toujours là. »
En janvier, après les attentats, je suis restée plus d’un mois dans un état presque végétatif. J’ai décidé que cette fois-ci, ils ne m’auraient pas ces salopards. Ils ne m’auront plus ces salopards.
Bien sûr, j’ai de la peine, bien sûr, je suis en deuil, bien sûr, je pense aux victimes et à leur famille. Bien sûr, j’ai peur. Mais cette fois, je ne laisserai pas le choc m’anéantir. Mais cette fois, je ne vais pas me contenter d’être en vie. Je vais rester Vivante. Je vais continuer à écrire de la poésie et à venir la partager ici. Même si cela peut paraître parfois tellement dérisoire face à la violence et à la brutalité du monde. Mais c’est justement à cause et contre cette violence et cette brutalité que je veux continuer à faire briller les étoiles de mes rêves et leur dire, à ces assassins déséquilibrés, qu’ils n’auront jamais assez de haine contre ce qui fait notre humanité.
Rester Vivante. Rester Vibrante. Plus que jamais.
Alors, j’ai éteint la télé. J’ai rénové un meuble. J’ai gribouillé et gratté mes carnets.
Voici donc un tercet, métamorphosé en photopoème, écrit le week-end dernier, que je pensais publier dans le courant de ce week-end. Je reste sur ce que j’avais prévu, le voici :
[J’ai écrit ce tercet le week-end dernier. Il m’a été inspiré par la nature, ce paysage qui commençait à s’effeuiller dans le cadre de ma fenêtre. Aujourd’hui, il pourrait prendre un autre sens, une autre dimension. Mais il ne faudrait surtout pas l’interpréter comme un texte qui baisse la tête en enfermant des poèmes et en dépouillant des rêves. Non, pas du tout, loin de là. Non, ce qu’il dit c’est que mes poèmes sommeillent dans mes rêves et s’en nourrissent. « Dépouillé » est à prendre ici dans le sens de sobre, simple.]
Je vous envoie de l’amour, de la consolation, de la paix, de la sérénité et de l’espoir. Puissiez-vous ressentir tout cela comme j’ai pu le ressentir en admirant le magnifique crépuscule automnal aujourd’hui sur Barsac :
Patricia,
Je suis en parfait accord avec ton billet même si, de mon côté, j’ai choisi de garder le silence. Ce week-end, j’étais en Savoie et j’ai admiré, comme toi, de bien beaux ciels. Ils ne m’ont pas consolée mais ils étaient là, dans leur magnifique flamboyance, comme un cadeau.
Cela me touche profondément que tu aies pensé au titre de mon recueil « L’oiseau chante même quand la branche craque ». Ce sont des mots que j’ai empruntés au poète mexicain Salvador Diaz Miron, des mots d’espoir, dont on a tellement besoin…
Merci Claire-Lise. Si la Nature ne console pas toujours, elle apaise au moins, elle offre un refuge contre la brutalité et la violence du monde. Les mots aussi. Les mots sont des armes puissantes, mais des armes d’amour.
C’est avec reconnaissance que j’accepte cet amour, cette consolation, cette paix, cette sérénité et cet espoir… je me suis consolé, ressourcé, moi-aussi dans la nature, fermé les yeux, reçu les rayons du soleil avec gourmandise, parlé avec des « inconnu ( e ) s » qui comme moi essayaient de mettre des mots sur le ressentir, pleuré d’impuissance, pleuré de compassion, été en colère contre cette bétise, accepté d’être dérisoire et choisi la vie, encore et toujours contre le mortifère…
J’ai, moi aussi, savouré ces splendides incendies du ciel…
Merci pour vos mots…
Et merci aussi à vous François, vos mots me touchent.