Lectures bleues (turquoise)

Le 23 juillet 2020
Photo : Patricia Houéfa Grange

Cette année, je ne prendrai pas l’avion. Mes voyages seront pour la grande majorité intérieurs car je suis habitée par de riches rêveries que je nourris régulièrement. Il y aura des voyages au bout de ma terrasse (surtout de mon mini-jardin en pots et jardinières), des voyages au bout de ma rue, des voyages au bout des chemins. J’ai si souvent survolé des milliers de kilomètres qu’il me reste tant à explorer à quelques jets de pierre de chez moi !
Mais surtout, il me reste encore tant à lire ! Je sais que ma pile de livres ne tarira jamais. Les livres sont les meilleurs véhicules pour franchir l’espace et le temps. Et les librairies, d’excellentes agences de voyage ! Vous ne vous imaginez pas à quel point à cette pensée, mon cœur s’envole léger vers mille horizons !
Pour bien commencer l’été, j’ai pris des billets vers des destinations qui m’ont rappelé des voyages passés : San Francisco et la Californie lors d’une université d’été à Berkeley d’une part et mes deux précieux séjours en ma chère Malaisie de l’autre.
Ladies and gentlemen, we’re about to fly, please fasten your seatbelts. Cabin crew, prepare for take-off!

La mort et autres jours de fête
Marci Vogel
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par
Marie Chabin
éditions do, 2020

Voici un livre qui se lit très vite, il peut se dévorer d’une traite si vous décidez de ne pas lui résister un peu, de ne pas le faire attendre pour en profiter le plus longtemps possible, un livre qui se lit très vite donc et qui, tout à la fois, ne s’épuise pas. On peut y retourner et s’en délecter inlassablement. Comme on profite de chaque saison à chacun de ses retours ; comme on habite les jours qui se succèdent sur nos calendriers, jamais tout à fait identiques, jamais tout à fait différents.

De calendrier et de saisons, il est en effet question puisque Marci Vogel nous entraîne en douceur dans la langueur délicieuse de la vie d’April à Los Angeles, pendant un an, de saison en saison, à partir du printemps, et on se laisse volontiers emporter.
C’est une année d’instantanés, en écho aux photos qu’April prend avec un appareil qui appartenait à son beau-père qui vient de mourir. Une année à faire le deuil de ce deuxième papa (et d’autres pertes) au rythme des petits riens du quotidien, des fêtes juives à rituels et grands rassemblements familiaux, des célébrations amicales et des rencontres amoureuses aigres-douces.

C’est un livre qui ressemble à sa couverture. Il est doux et acidulé. Il ouvre de grands espaces dans les ciels de nos pensées. On se prend à vouloir, comme April, prendre le volant ou s’asseoir sur le siège passager d’une voiture ou d’une autre (les marques et modèles jalonnent le livre tels les saints une éphéméride) et se perdre dans le bleu, qu’il soit céleste ou océanique.

Il y a beaucoup de poésie dans cet ouvrage qui n’est pour moi ni un roman, ni un recueil de nouvelles, ni un recueil poétique et un peu tout cela à la fois. L »écriture est tout à la fois délicatesse et fragilité. Le style tout à la fois minimaliste, pointilliste et impressionniste. Il trace des résonances subtiles d’une saison l’autre, d’une perte l’autre, en un éloge à l’immensité du minuscule.

Une fois lu, ce livre laisse une trace physique en soi et il faut en faire le deuil car on le repose avec nostalgie, avec déjà l’envie d’y revenir…
Par bonheur, nul besoin d’allumer une bougie yahrzeit, comme tous les livres, celui-ci peut être ressuscité autant de fois que vous le souhaitez !

[Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais pour ma part, j’ai ce rituel un peu particulier, avant d’entrer dans la lecture d’un livre, de l’examiner sous toutes les coutures. C’est ainsi que j’ai découvert, dès mes premières lectures de la maison do qu’Olivier Desmettre a lui aussi un rituel, d’éditeur pour sa part : il glisse des notes personnelles dans le colophon des livres de sa maison. Depuis que je l’ai découvert, c’est la première chose que je lis en ouvrant un do. Et pour cet ouvrage, elles sont aussi surprenantes que touchantes. En résonance elles aussi, bien évidemment, avec ce très beau texte.
(Oui, je sais que désormais, on utilise l’expression « achevé d’imprimer » plutôt que le joli mot au charme désuet de « colophon ». Mais je suis une incorrigible amoureuse du suranné et je trouve que ce terme sied parfaitement à ce livre !)
(Parenthèse bis : je suis évidemment particulièrement impatiente de lire ce qu’Olivier Desmettre a bien pu inscrire à la fin de Passeport !)]

Kuala l’impure
Brian Gomez
Traduit de l’anglais (Malaisie)
par Jérôme Bouchaud
Editions Gope, 2020

Voici un livre qui, lui, ne vous laissera aucun répit, un livre qui ne lâche pas son.sa lecteur.trice ! En conséquence, il se lit également très vite, mais pas pour les mêmes raisons. Assurez-vous vraiment d’avoir quelques heures disponibles devant vous en franchissant sa première page, vous aurez du mal à le refermer avant, au minimum, la fin de la première partie !

Il y en a quatre au total, quatre parties, ou plutôt, trois parties et un épilogue. Ces trois parties déboulent à toute allure sur vous sur un espace de quarante-huit heures à peine ! Pas le temps pour vous de reprendre votre souffle et toutes les chances pour le récit de vous tenir en haleine ! Son architecture et son orchestration sont ciselés à la seconde pour vous faire rebondir de chapitre en chapitre jusqu’au dénouement final qui ne joue pas les happy end classiques.

Au menu : une plongée dans Kuala Lumpur par nuit interlope ; toute une galerie de personnages bien épicés ; la savoureuse macédoine malaisienne avec ses composantes ethniques variées, les tensions entre ces dernières et les relations souvent tendues avec les différents mat salleh (étrangers blancs) ; un humour au vitriol qui ne ménage aucun des éléments de la population et de la société malaisiennes ; un beau panier de crabes, le tout saupoudré d’enjeux géopolitiques. Explosif ! J’ai adoré !
D’excellents moments de lecture, parfaits pour l »été !



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