Traduire le Comando Plath – Anaphores & cadavres exquis

Le 23 novembre 2024
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Présentation sur le site de la maison d’édition

Cela fait déjà presque deux mois que Comment baise une poète ? Et autres manifestes du Comando Plath est en librairie dans ma traduction de l’espagnol (Pérou) au français et dans une belle orchestration éditoriale des Prouesses. Je prends enfin le temps de partager avec vous ma parole de traductrice sur ce recueil qui réunit cinq poèmes-manifestes de ce collectif d’écrivaines et d’artistes péruviennes.

Avant d’aller plus loin, je voudrais vous dire quelques mots concernant le titre de ce livre. En effet, on peut légitimement se demander pourquoi c’est « une poète » qui est écrit et pas « une poétesse », d’autant plus qu’il s’agit de textes féministes jusqu’au bout des griffes. Et bien tout simplement pour respecter le choix qui a été fait par le Comando Plath lui-même dans le texte d’origine, ce choix étant lié au contexte du Pérou et de l’Amérique latine. En effet, dans la langue espagnole, le terme « poetisa » qui correspond à « poétesse » existe. Cependant, comme je l’indique dans une note associée au deuxième manifeste dans le livre, le collectif m’a indiqué qu’en Amérique latine, ce mot « poetisa » est péjoratif, en particulier pour les femmes poètes contemporaines. Le Comando Plath utilise donc le terme « poeta », à savoir « poète », en l’associant à un déterminant féminin, et le premier des cinq manifestes, qui donne son titre au recueil, s’intitule « ¿Cómo tira una poeta? » donc « Comment baise une poète ? » D’ailleurs, dans le deuxième manifeste, elles sifflent : « Le Je lyrique montrera les crocs la prochaine fois qu’on la qualifiera de « poétesse » »

Photo : Comando Plath
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Ceci précisé, je poursuis !
Les textes présentés ici sont les œuvres d’un collectif et ses membres ont donc mis en place un dispositif collaboratif pour rédiger ces cinq cris de guerre qui se referment en poing comme les cinq doigts de la main afin d’asséner un uppercut au patriarcat : il s’agit du cadavre exquis et ce jeu surréaliste est utilisé dans l’ensemble des manifestes. Dans le premier manifeste, les membres du Comando Plath renvoient à la face de leur famille, de leur entourage, des milieux littéraires et intellectuels et de la société, les phrases aussi sexistes, machistes que scandaleusement absurdes dont elles ont pu être accablées depuis toujours, presque comme on retournerait un stigmate. Puis à partir du deuxième manifeste, elles utilisent, en plus du cadavre exquis, le procédé de l’anaphore, pour dénoncer les féminicides et autres violences sexistes et sexuelles au Pérou et ailleurs, ce qui transforme ces actes poétiques en chants politiques. Le dernier manifeste qui scande « Je m’imagine » ou « J’imagine » est une ouverture sur l’horizon qui tout à la fois accuse et espère, rêve. Et qui agit pour la concrétisation de ce monde imaginé car chacune des anaphores répond aux questions posées dans le titre de ce dernier texte : « Pourquoi faisons-nous la grève ? Pourquoi manifestons-nous ? Pourquoi organisons-nous des sit-in ? »
Pour aller plus loin, je vous invite à lire l’article « Le Comando Plath: littérature et politique dans le féminisme péruvien actuel » de Mónica Cárdenas Moreno (antérieur à ma traduction et à la publication de ce livre).

Quand Flora Boffy-Prache et Zoé Monti-Makouvia des éditions Les Prouesses m’ont contactée pour me proposer de traduire cet ouvrage, j’ai souri car il s’inscrit naturellement dans le sillage de mon travail en traduction de ces dernières années. En effet, depuis 2019, j’ai traduit plusieurs voix poétiques, féminines et féministes du Pérou, notamment Victoria Guerrero Peirano et Roxana Crisólogo. Elles sont toutes deux membres fondatrices du Comando Plath.

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J’ai pris beaucoup de plaisir à traverser la traduction de ces cinq textes au fond aussi tempétueux que réjouissant, et à la forme poétique. J’en apprécie l’engagement tant au niveau du contenu que du travail sur le rythme. Bien sûr, comme à chaque traduction, je me suis arraché quelques cheveux et j’ai eu des doutes – il me semble cependant qu’il est sain de douter, quelle que soit son activité – en particulier pour celui des cinq manifestes qui est devenu mon chouchou, le troisième. Je n’en dis pas trop pour vous laisser le découvrir. Mais je peux indiquer que c’est un texte multilingue, avec des expressions idiomatiques et pas mal de références locales ! Désormais, à chaque lecture, en espagnol, comme en français, il me donne envie de le marteler dans un mégaphone et/ou de le danser furieusement, sauvagement !

Au cours de ce processus de traduction, j’ai également savouré les échanges riches, passionnants et joyeux avec les deux éditrices dont le regard bienveillant a accompagné cette traduction, sans jamais peser sur elle. Encore un grand merci, Flora et Zoé, pour votre confiance et nos belles conversations !

Photo : Les Prouesses
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Il ne vous reste plus qu’à vous précipiter en librairie pour vous le procurer, d’autant plus qu’il est proposé à prix doux, que son format en fait un livre parfaitement nomade et que, comme chacun des ouvrages de la nouvelle collection « Au coeur » de la maison Les Prouesses, il comprend une très belle affiche détachable. Celle de ce recueil est une proposition typographique d’Audrey Voydeville qui donne la pêche !



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