En ce premier jour d’hiver, je viens vous parler des livres qui ont compté pour moi cet automne. Comme souvent, depuis quelque temps, un fil rouge se faufile et se tisse entre mes différentes lectures marquantes d’une période, d’une saison. Cette fois, ce sont les corps célestes qui ont tracé une galaxie pour les relier.
Je vous les présente dans l’ordre de lecture :
Devant l’immense
de Rebecca Elson
traduit par Sika Fakambi
L’arbre de Diane, 2021
Collection La Tortue de Zénon
C’est au cours du week-end des Nuits des étoiles, coïncidant avec la nouvelle lune d’août, que j’ai médité pour la première fois Devant l’immense, poésie épurée de l’astrophysicienne Rebecca Elson. Ce fut le moment parfait pour cette première rencontre. Ce n’était pas encore l’automne, mais nous sommes entrés régulièrement en contemplation ensemble par la suite tout au long de cette saison.
La poésie de Rebecca Elson est traversée par le souffle qui habite la poésie japonaise, le haiku ; une concision qui va à l’os sans pour autant manquer de chair. Ses poèmes évoquent évidemment les constellations, les astres, les planètes, le firmament, l’espace et la matière noire, mais leur essence trouve racine et se déploie bien au-delà. Elle est à chercher dans notre présence au monde, dans notre rapport à celui-ci, entre l’infiniment grand et l’immensément petit ; des petits cailloux que l’autrice ramassait dans son enfance lors des expéditions familiales pour les travaux de terrain de son père jusqu’à L’univers en expansion. Elle se fait l’Observatoire du mystère et des questionnements devant lesquels nous resterons, simples quidams comme scientifiques, à jamais – heureusement – sans réponse.
C’est de ce lieu que naît ce sentiment particulier d’effroi respectueux et d’émerveillement craintif que l’on nomme awe en anglais et que l’on retrouve dans le titre original de l’oeuvre, A responsibility to Awe. C’est de là aussi que sourd la magie de cette existence comme le chante le poème Les derniers animistes, mon préféré, qui pourrait être psalmodié en incantation par un coven lors d’un esbat ou d’un sabbat. Tout ce que nous savons, c’est que nous ne savons pas ; tout ce qui est certain, c’est que tout est incertain ; et devant l’immense, nous sommes des êtres de finitude, Il s’agit de cela, et de l’existence des limites. L’accepter, c’est déjà trouver la possibilité de danser cette vie, tels les poèmes de ce recueil qui sont autant d’Antidotes à la peur de la mort.
Au contact de cette poésie, qui file De pierres en étoiles, j’ai souvent eu l’impression d’entendre s’élever comme une « songline » des Aborigènes australiens qui décrirait une piste pour nos destins entre ciel et terre, entre terre et ciel, pour que toujours la lumière soit.
Je finirai en disant que je remercie L’arbre de Diane d’avoir choisi de publier une édition bilingue tout en séparant la traduction française du texte d’origine en anglais. En tant que traductrice lisant les deux langues, cela m’a ainsi évité d’aller en permanence de l’une à l’autre et de comparer (déformation professionnelle, on ne se refait pas !) J’ai ainsi pu savourer pleinement les deux versions, avant d’apprécier le joli travail de Sika Fakambi qui a réalisé une très belle traduction.
Oiseau
de Sigbjørn Skåden
traduit par Marina Heide
Agullo Editions, 2021
Collection Agullo Court
J’ai rapporté ce livre du Festival Hypermondes où je l’avais alors acheté en avant-première. J’étais très curieuse de découvrir ce court roman de science-fiction écrit par Sigbjørn Skåden, écrivain norvégien d’appartenance same, et publié par Agullo Editions dans sa collection Agullo Court.
Si je me suis laissé rapidement embarquer et même envoûter par ce texte sobre et contemplatif, j’ai surtout été à la fois surprise, déroutée et fascinée par les innombrables échos qui se sont mis à résonner au fur et à mesure que j’avançais dans ma lecture, entre cet Oiseau des XXIème et XXIIème siècles et un texte du début du XXème siècle dont je viens d’achever la traduction, à savoir The House of Sounds de M.P. Shiel !
Je vous les égrène, en tentant de ne pas trop en dire ni de l’un ni de l’autre : omniprésence des sons, du bruit, qui oblige les personnages à communiquer par écrit ; vent et tempête violents ; récit qui court sur plusieurs époques ; couleurs principales identiques ; perturbation de la notion du passage du temps, de la succession des jours et des nuits ; motif du dôme ; planète Home d’un côté et maison House de l’autre, hostiles dans les deux cas ; il me semble en oublier !
Cependant, il s’agit bien de deux textes indépendants et très différents, qu’il s’agisse des récits proprement dits ou du style. D’un côté, il y a un roman d’anticipation et de l’autre, un conte fantastique et horrifique. Alors que la poésie de Sigbjørn Skåden est dépouillée, presque ascétique, la langue de M. P. Shiel est exubérante, baroque (les critiques l’ont qualifiée de « langue-bijou »). Skåden interroge plutôt la communauté, le projet de société, tandis que Shiel semble davantage explorer l’individu. Tous deux savent ménager l’énigme et le mystère, au lectorat de faire son propre voyage.
Mais je serais malgré tout très curieuse de savoir si Skåden a lu Shiel !
Anaya
de Cécile Brochard
Editions Passage(s), 2020
C’est en apesanteur éblouie que j’ai lu ce court roman qui m’a traversée tout autant que je l’ai traversé, et qui m’a instillé de la sérénité.
Il s’agit de trajectoires de femmes qui se cherchent de mère en fille, de fille en mère, de génération en génération, avec cette impression que l’histoire bégaie d’une l’autre. Il y est question de mémoire, de transmission, de perte, de mort et de renaissance de part et d’autre des rives de l’océan Atlantique. On y évoque aussi le rêve et la métamorphose (ah, les papillons !), les rendez-vous manqués et le temps qui ne se rattrape pas et ne guérit pas grand-chose non plus. Le tout avec une douceur et un apaisement qui ne peuvent faire naître que l’acceptation et la quiétude.
L’autrice – qui est maîtresse de conférences en littérature comparée – y croise les mythes et légendes amérindiens, aborigènes australiens et bretons dans une langue à la fois simple, sobre et cependant très poétique et évocatrice.
J’ai adoré passer ces moments auprès de toutes ces femmes et de chacune d’elles, ce voyage dans l’espace, le temps, les cultures, mais aussi entre la terre et le ciel, pierres et étoiles étant souvent évoquées (je n’ai d’ailleurs pas cessé de penser au superbe Devant l’immense de Rebecca Elson dont je parle plus haut). Cette lecture-baume est une des plus belles de l’année pour moi.
L’aube et la nuit
Claire-Lise COUX, 2021
C’est entre la nuit et l’aube, à mes heures de prédilection, que j’ai lu le dernier très beau recueil poétique de mon amie Claire-Lise Coux
Nous avons en commun, comme bien des poètes, l’amour du soir et de la lune, et ce fut un enchantement de parcourir ces pages de poésie brève en ce week-end de dernière pleine lune de l’année. Journal d’impressions et ressentis délicats saisis au fil des saisons. C’est toujours le même bonheur qui infuse lentement en moi chaque fois que je retrouve la plume aérienne de Claire-Lise, le cocon douillet de sa poésie et le thé subtil de ses vers. Une lecture ourlée de motifs de corps célestes et de la compagnie des oiseaux, du mouvement pulsatile des couleurs des paysages, qui enrobe le cœur et l’âme de paix en ce moment particulier du passage du crépuscule d’une année vers l’aube d’une autre.
Je vous souhaite un doux hiver, en compagnie de lectures stimulantes et/ou apaisantes, et je vous souhaite, d’avance, d’excellentes fêtes de fin d’année.