Il y a déjà plusieurs mois que j’ai lu ces trois livres – entre la fin de l’été et le début de l’automne. Je n’ai pas réussi à trouver le temps de venir vous en parler plus tôt. A force de procrastination, le dernier jour de cette « drôle » d’année est arrivé et je ne pouvais pas la laisser filer sans venir dire quelques mots sur ces trois livres. Impossible, tant ils ont été importants pour moi, tant ils m’ont fait du bien.
En effet, si 2020 restera dans les mémoires d’abord et avant tout à cause d’un sinistre virus qui aura bouleversé la vie du monde entier, ce fut également une année particulièrement agitée par les questions identitaires, dans le sillage du mouvement Black Lives Matter. C’est quelque chose que j’ai vécu violemment, ressenti dans ma propre chair, comme au moment de mon adolescence et de mes jeunes années d’adulte quand je ne savais pas quoi faire de mon métissage, comment le vivre, comment concilier en moi et face au monde toute cette brutalité de l’Histoire ? Tout m’a été renvoyé comme des milliers de coups de poing par l’actualité. Et ces trois ouvrages ont été un refuge, une consolation, une voie pour me rééquilibrer.
Que faire de mon héritage et de mon patrimoine colonial par exemple ? Que faire de cet arrière-grand-père colon qui n’aura pas laissé grand chose de lui dans notre histoire, une simple photo figée en noir et blanc, alors que mon propre grand-père, son fils, était tout jeune enfant quand il a été sauvagement mis à mort ? Que faire de la rue qui porte son nom à Cotonou, de la stèle qui a été élevée en son honneur sur le lieu où il a été tué ? Dois-je débaptiser et déboulonner ?
Ce ne sont pas des questions que je lance pour provoquer. Je ne remets en cause les actes et les démarches de personne. Car ce sont des questions pour lesquelles chacun.e semble avoir trouvé sa propre vérité, et je le respecte. Pour ma part, je n’ai pas de réponse et il m’est impossible de me positionner. Tout cela fait partie de moi, je ne peux pas faire autrement que de vivre avec et de concilier tout cela en moi. Il m’est impossible de choisir un camp. Comme c’est de plus en plus souvent le cas face aux questions qui s’avèrent sous-tendues de réalités extrêmement complexes. J’avoue être à la fois ahurie et admirative des gens qui arrivent à se positionner fermement. Je n’y parviens pas et je ne le souhaite pas. Certain.e.s me répondront ironiquement que c’est bien là le problème des métis.ses de ne pas pouvoir être d’un côté ou de l’autre, le cul entre deux chaises, n’est-ce pas ? C’est pour cela que de tous temps, les métis.ses ont perturbé, dérangé et qu’on a souvent estimé que le métissage ne devrait pas exister. Et j’ai revécu tout cela de façon très violente, avant de retrouver mon dés-équilibre permanent de funambule sur le fil de mon identité. Et j’ai retrouvé la sérénité en lisant ces livres, en particulier La bâtarde du Rhin.
Cela fait trop longtemps que je les ai lus pour en faire le compte-rendu que j’aurais souhaité faire, mais je vais tout de même vous dire quelques mots de chacun d’eux, dans l’ordre dans lequel je les ai lus :
Moi, Tituba sorcière… de Maryse Condé
J’avais lu ce livre trop jeune et n’en avais pas saisi tous les enjeux. Ce fut un bonheur de le redécouvrir. J’ai été impressionnée par le temps d’avance de Maryse Condé sur son époque, à travers le personnage de Tituba autour duquel bien des sujets d’actualité sont en orbite : la chambre à soi des femmes, les questions de féminisme, d’environnement, d’éco-féminisme. Et j’ai été très touchée par le fait que son pays premier, c’est ce lieu, cette cabane qu’elle s’est fabriquée de ses propres mains, le seul lieu où elle ait jamais été libre.
La Bâtarde du Rhin de Monique Séverin
Ce livre m’avait été offert il y a plus de trois ans, mais il attendait son heure et cette heure fut vraiment la bonne. J’ai été secouée tout au long de la lecture et je le resterai longtemps encore. Tant tout cela arrivait en résonance des douleurs et questionnements suscités par l’actualité tout au long de cette année en divers points du monde.
Il y a près de deux ans que j’ai décidé de refondre mon ouvrage Métisse. Et alors ? Je suis à l’oeuvre et ce livre-là a énormément nourri la nouvelle version de ce recueil poétique en cours de réécriture.
Régisseur du rhum de Raphaël Confiant
Ce qui m’a le plus intéressée dans ce roman, c’est qu’il est narré du point de vue d’un planteur Béké, alors que la plupart des ouvrages traitant cette époque rapportent la vision des travailleurs nègres et mulâtres. De plus, c’est un récit rendu très dynamique par les allers-retours dans le temps et la narration tantôt à la première, tantôt à la deuxième, tantôt à la troisième personne. Sans oublier la langue savoureuse, au suave parfum de désuétude que nous distille ici Raphaël Confiant. Un pur bonheur de lecture.
Voilà, je ne pouvais pas laisser s’évanouir 2020 sans laisser ici une trace de ces trois ouvrages dont la lecture m’a particulièrement marquée. La Bâtarde du Rhin m’a inspiré un long poème que j’ai intitulé La Bête et la Belle (puisque tel.le est le/la métis.se sans cesse au cours de l’Histoire) qui sera le poème d’ouverture de la nouvelle mouture de Métisse. Et alors ? En refermant la dernière page, j’ai également écrit ces deux tercets :
Dans un monde en noir et blanc
je suis la nuance
qui te dérange
***
Comme la souffrance retourne l’ongle
mon existence perturbe
tes visions manichéennes
Patricia Houéfa Grange
Tous droits réservés
Belles réflexions sur notre passé métissé et marqué par le colonialisme (et l’esclavage pour nous Réunionnais). Que de contradictions dont il nous faut défaire les noeuds!
J’aime beaucoup cette « nuance/qui te dérange » et j’attends avec impatience la nouvelle édition de « Métisse et alors? ».
Et comme ma poésie rejoint la tienne!
Merci à toi, chère sœur d’une autre porte du non-retour. Nous avons tant en commun.
Merci pour ces partages de lecture et d experience !
Je suis heureuse que d autres que moi trouvent des reponses dans les livres
Merci à vous pour votre passage ici, Corinne.