Rencontres – Le vent

Le 14 octobre 2019

Si, comme moi, vous déambulez souvent dans les rues de Bordeaux, usant vos semelles à ses facétieux pavés, vous l’avez forcément déjà croisé. Et très certainement à plusieurs reprises.
Il ne marche pas, il se laisse ballotter. Il est grand et mince, très mince, l’allure dégingandée. Feuille sèche se laissant porter, transporter, abandonnée au souffle qui la pousse.

Abandonnés aussi, ses cheveux. À la chorégraphie dense et noire des locks qui les paysage en jardin-labyrinthe pour lutins malicieux. Épaisses mèches d’ébène léchant et rampant sur la peau brune de son visage aux yeux flous.
Son regard est absent, mais plonge droit et profond dans le vôtre lorsqu’il vous croise.
Et ses mains parlent un langage qui leur est propre. Une sorte de chaînon manquant entre les gestes de direction d’un chef d’orchestre et une langue des signes dont il serait l’unique locuteur, mâtinée de néo mudra.
Et ses mains volent, ses mains dansent, ses mains palpitent. Araignées, papillons, moineaux, pétales, étincelles, encens. Ses mains bondissent, frétillent, vacillent.
Je ne peux m’empêcher d’être hypnotisée. De ralentir légèrement, chaque fois que nos chemins se croisent. L’espace de quelques minutes. De pénétrer, immobile, pouls suspendu, dans sa tarentelle. Ses mains cabriolent, ses mains se trémoussent, ses mains papillotent.
Tout son corps est animé de la respiration du vent.
Et, imperceptiblement, ses lèvres frémissent, fébriles, au rythme du mouvement. Serait-ce une incantation ?

Patricia Houéfa Grange
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