Dans la lumière grise et tremblante d’une aube de printemps, n’avez-vous jamais eu l’impression, alors que les oiseaux mâles gazouillaient dans les arbres selon quelque rythme mystérieux, qu’ils chantaient les louanges des fleurs à leurs femelles ? Pour ce qui est de l’humanité, à l’évidence, la poésie amoureuse a dû naître en même temps que l’amour des fleurs. Comment mieux décrire, en effet, l’épanouissement d’une âme virginale qu’en la comparant à une fleur, si douce dans son inconscience, parfumée parce que silencieuse ? En offrant la première guirlande de fleurs à sa compagne, l’homme primitif a transcendé la brute. Par ce geste qui l’élevait au-dessus des nécessités grossières de la nature, il est devenu humain. En percevant l’usage subtil de l’inutile, il est entré dans le royaume de l’art.
Dans la joie ou dans la tristesse, les fleurs sont nos amies fidèles. Nous mangeons, nous buvons, nous chantons, nous dansons, nous flirtons en leur compagnie. Nous nous marions et nous baptisons avec des fleurs. Et nous n’oserions mourir sans elles. Nous avons célébré les dieux avec le lys, médité avec le lotus, chargé sur les champs de bataille avec la rose et le chrysanthème. Nous avons même essayé de parler la langue des fleurs.
Kakuzô OKAKURA
Le livre du thé
Traduit de l’anglais par Corinne Atlan et Zéno Bianu
Ed. Philippe Picquier, 1996