Papillons de mots

Extrait de la BD L’appel des origines

J’ai passé la plus grande partie de la trêve des confiseurs à lire. Je pensais publier ici des notes de lecture au fur et à mesure. Mais une longue panne de box internet m’en a empêché. Je fais donc une note regroupée pour vous parler de mes toutes dernières lectures de 2015. Je n’ai pas fait exprès, mais elles portent toutes le sceau du métissage …

Le chant des possibles
Marc Alexandre Oho Bambe
Ed. La Cheminante, 2014

Cet ouvrage était au sommet de ma pile de lecture depuis fin septembre – début octobre, depuis une très belle soirée dans un petit théâtre de Bègles (Gironde) pendant laquelle j’ai rencontré la voix, la parole et le charisme de Marc Alexandre Oho Bambe, dit Capitaine Alexandre.

Marc Alexandre est poète et slameur. Il aime déclamer ses textes et faire voyager le public à bord de son vaisseau de mots. Cela se ressent dans son recueil. Ce sont des écrits pour le dire. On a tout de suite envie de les empoigner et de les scander haut et fort, ou de les murmurer doucement.

Mais les textes de Marc Alexandre ne sont pas qu’une jolie suite de jeux de mots bien affûtés, non, ce sont des manifestes pour la Rencontre, le « Métissage », le Tout-Monde si cher à Glissant. Cet engagement est manifeste dans le message et dans la forme, mais aussi dans les différentes « influences » qui traversent le souffle poétique de l’auteur : voix de la Négritude et du Tout-Monde, poètes romantiques, maudits et surréalistes, rappeurs et slameurs.

La Cheminante ne pouvait rêver plus bel ouvrage pour inaugurer sa collection Harlem Renaissance car il vibre littéralement des mélanges jazzy de ce célèbre Mouvement.

Il n’est pas étonnant non plus que Marc Alexandre ait reçu le Prix Verlaine de l’Académie Française pour cet ouvrage.

Chante ma plume
Chante
La construction des ponts arc-en-ciel
La destruction des murs
Qui emprisonnent certains dans leur fiel
Mais ne peuvent empêcher
Idéaux et pensées
Rebelles
De circuler dans le ciel
En toute liberté.

Chante ma plume
Chante
Pour dire
NON
Au repli identitaire

OUI
Au divers
A la relation
A l’Autre
Chante
En réaction
Au monde.

Marc Alexandre Oho Bambe
dans Le chant des possibles

***

Apprendre à donner, apprendre à recevoir
Lettre à Jacques Chevrier
Gabriel Mwènè Okoundji
Ed. William Blake and Co, avril 2013

Oui, je sais, encore Gabriel Okoundji. Je n’y peux rien, c’est comme ça. Il y a des auteurs comme ça qui vous accompagnent et dans le souffle de la parole desquels on reconnaît sa propre respiration poétique.

Apprendre à donner, apprendre à recevoir n’est pas le dernier ouvrage de Gabriel, mais ce n’est que tout récemment que j’en ai appris l’existence et c’est désormais un de mes préférés dans son oeuvre, avec Au matin de la parole.

Il s’agit en fait d’une longue lettre adressée par Gabriel à Jacques Chevrier qui lui demandait de lui parler un peu de son parcours d’homme et de poète. Même pour répondre à cette simple sollicitation, Gabriel n’a pas pu s’en empêcher, il poétise comme il respire et a donc envoyé ce joli résumé de sa quête poétique et de son chemin en humanité sur cette Terre.

Extrait :

« Le tout est de savoir être soi tout en étant ouvert, de savoir être proche sans se confondre, sans enfermement ni repli, ni renfermement, ni rejet, ni reniement aucun : l’étoile de l’homme réside dans l’enclos ouvert de son coeur.

[…]

J’ai voyagé et séjourné dans d’autres contrées qui m’ont donné à partager leur parole et à apprivoiser leurs mots. Je suis de toutes ces terres, lesquelles portent mes empreintes mêlées à d’autres empreintes et pour lesquelles ma parole comme d’autres paroles abolit les frontières.

La rencontre des hommes, vois-tu mon cher Jacques, est graine qui fleurit l’équilibre des vivants. Le poète n’a de pays nulle part, son chemin s’étend jusqu’à l’horizon qui révèle le rêve de la vie, sa tête est le globe terrestre en étroit lien avec le cosmos d’où il tire son souffle. »

Je vous conseille également vivement la lecture du dernier ouvrage de Gabriel, qui est en fait une anthologie regroupant l’essentiel de son oeuvre à ce jour :

Comme une soif d’être homme, encore.
Gabriel Mwènè Okoundji
Ed. fédérop, 2015

***

L’appel des origines (Intégrale 3 tomes)
Scénario : Joël Callède
Dessin : Gaël Séjourné
Couleur : Jean Verney
Ed. Vents d’Ouest

Je ne sais plus depuis combien de temps j’ai acheté cette belle édition intégrale de la série BD L’appel des origines ! Elle a enfin trouvé son moment et je l’ai lue à cheval entre 2015 et 2016. C’était très agréable. En voici le synopsis par l’éditeur :

Tout mettre en péril pour partir en quête de ses origines ? Harlem, les années 20. La jeune Anna travaille la journée dans le restaurant de son oncle et sa tante, et la nuit danse au rythme du jazz. Une vie qui pourrait être légère.… Mais Anna est tourmentée par ses origines : elle est métisse, un statut difficile qui l’’empêche de trouver sa place. Un jour, elle découvre l’’existence de son père inconnu : un Blanc, mystérieusement disparu en Afrique. Elle ne pense plus qu’’à le retrouver, et réussit à se joindre aux membres d’’une expédition se rendant sur le continent noir à la recherche des origines de l’’Homme. À chacun sa quête, à chacun ses origines : les voici partis ensemble à la poursuite de leurs chimères. Au croisement d’’Out of Africa et des romans de Joseph Conrad, ce triptyque retrouve le souffle romantique de la grande aventure tout en proposant un regard réaliste sur une époque et sur un phénomène que chacun ressent à un moment de sa vie : l’’appel des origines.

Et je ne résiste pas à vous montrer la sympathique bande annonce :

J’ai tout d’abord été séduite par les thèmes abordés par cette série, puis par les dessins qui nous plongent totalement dans les différentes ambiances traversées dans l’espace et dans le temps : premières années post-esclavage dans les plantations de coton, soirées de jazz et charleston dans Harlem, restaurants de soul food dans le même quartier, prohibition, speakeasies, grandes productions hollywoodiennes, grandes expéditions scientifiques, traversées transatlantiques en bateau, colonialisme, safaris, magnifiques paysages de l’Afrique de l’est. On y croise de nombreux personnages ayant réellement existé comme les Washingtonians (Duke Ellington, Sidney Bechet et Sonny Creer), Ethel Waters, Martin et Osa Johnson, Carl Akeley ou encore Karen Blixen ! C’est un joli triptyque bien documenté et on s’attache très vite au personnage d’Anna. On la suit avec plaisir dans ses questionnements et sa quête identitaire.
J’ai cependant un peu moins aimé le troisième et dernier tome que j’ai trouvé un peu trop, comment dire, « folklorique ».

Voici les couvertures originales des trois tomes :

Tome 1 : Harlem

Tome 2 : Nairobi

Tome 3 : Sanyanga

J’aime beaucoup les illustrations réalisées pour la première et la quatrième de couverture de l’édition intégrale qui résument bien les ressentis d’Anna. Elle ne trouve sa place nulle part : trop noire d’un côté, trop blanche de l’autre :

Edition intégrale – Première de couverture

Edition intégrale – Quatrième de couverture

Et deux petits détails amusants, le dessinateur doit être malicieux !
J’ai cru reconnaître deux acteurs de Hollywood sous les traits de deux personnages du triptyque :

Ce beau jeune homme au crâne rasé ne vous fait penser à personne ? Moi, il me rappelle furieusement Djimon Hounsou ! Et comme par hasard, il s’appelle Djimoun !

Bon, là, c’est quand même flagrant que le sage Hakeem n’est autre que Morgan Freeman, non ?

Les auteurs de cette série ont peut-être déjà envisagé l’adaptation au cinéma de leur oeuvre, qui sait ? Dans tous les cas, je suis convaincue qu’elle pourrait servir de base à un très joli film d’animation.

Je vous laisse avec Ethel Waters dont le Stormy weather est la bande sonore du premier tome dédié à Harlem :