Dessin d’Ernest Pignon-Ernest
Extrait de « Tant de soleils dans le sang » avec André Velter
Ce soir, je suis soulagée par la fin de cette terrible première semaine de 2015. Soulagée, mais ni apaisée, ni sereine. Trop de morts, trop de gens encore entre la vie et la mort, trop de blessés (physiquement et moralement). Trop de gens morts de l’intérieur …
Ce soir, je suis soulagée qu’on ait mis fin aux actes de folie de ces assassins, êtres perdus, fous et incultes, à l’extrême opposé du message de paix et d’amour de toute religion. Mais je leur en veux aussi d’avoir fait de nous des meurtriers à notre tour, en nous obligeant à planter nos étendards de liberté sur leurs cadavres et dans leur sang.
Ce soir, je suis émue par cette union sacrée qui se tisse depuis mercredi soir. Mais je suis aussi triste de constater qu’aujourd’hui, dans ce pays, il faut soit une victoire au football, soit des tueries barbares pour que nous nous retrouvions et que nous réussissions réellement à marcher ensemble dans la même direction, quelles que soient nos différences. Soit. Au moins, ceux qui ont été lâchement sacrifiés ne l’auront pas été pour rien. Puisse cette union perdurer pour que leur mort ait au moins ce sens-là : nous avoir unis contre l’obscurantisme.
Ce soir, je suis soulagée, mais ni apaisée, ni sereine. Je porte lourdement le deuil des proches de toutes les victimes ainsi que le deuil de l’humanité. J’ai le cœur infiniment lourd.
Ce soir, je pense aussi aux mères de ces assassins, si elles sont toujours de ce monde. Je pense à leurs ventres qui doivent se tordre de la douleur des actes qu’ils ont commis et de la douleur de les avoir perdus. Je pense à l’enfant de l’un de ces assassins, à cet héritage de sang qui lui a été légué en fardeau.
Ce soir, je ne suis ni apaisée ni sereine en posant mes yeux sur l’avenir. Mais ce soir, j’ai tenu, malgré tout, à prendre ma plume et à grincer ces quelques mots. Même si cet acte me semblait terriblement insignifiant et dérisoire au départ. J’ai pris ma plume parce qu’il est important, envers et contre tout, de relever la tête, de rester debout, de continuer à vivre et à exercer ces libertés fondamentales : écrire, dessiner, s’exprimer. Pour que jamais n’advienne le crépuscule de la Liberté.
Mariposa, à Barsac, 9 janvier 2015
« Habiter en poète, c’est tenter d’échapper à la brutalité animale »
Friedrich Hölderlin
Merci pour avoir exprimé de façon si émouvante ce que je (et beaucoup d’entre nous) porte(nt) au fond de moi (de nous)
la rançon de quelques satires
kalachnikov contre crayon
là où s’élevaient vos rires
le ciel est devenu de plomb
Merci à toi, Monique. Merci.