« L’armoire des robes oubliées »
Riika Pulkkinen
Albin Michel, 2012
Ce soir, juste envie de partager ce passage de ce très bel ouvrage que je suis en train de lire, passage qui aborde un thème qui me fascine depuis très longtemps : la frontière infime qui existe entre le sommeil et la mort, surtout lorsqu’on parle de sommeil artificiel …
Induction, intubation, extubation.
On en était encore à la deuxième phase. Le patient était plongé dans une profonde narcose, Eleonoora faisait les derniers préparatifs pour la suture. L’intervention avait été facile, une simple opération de routine.
(…)
Aujourd’hui encore, après vingt ans de salle d’opération, le mystère du sommeil artificiel ne cessait d’étonner Eleonoora. Elle le voyait quotidiennement, connaissait à fond son histoire marquée d’essais et d’erreurs.
Personne ne savait au juste comment le mécanisme d’endormissement fonctionnait. On savait seulement que certaines substances causaient la perte de connaissance et l’insensibilité suffisantes pour opérer. On ne pouvait définir à l’avance le niveau de l’anesthésie. Une quantité identique de produit entraînait chez certains patients une narcose profonde, chez d’autres un état à la frontière de l’assoupissement et de la veille. La plupart d’entre eux ne se souvenaient pas de ce qui avait lieu pendant leur sommeil. Certains restaient conscients pendant l’intervention et racontaient ensuite être sortis hors d’eux-mêmes pour observer l’acte, avoir senti l’incision que l’on faisait sur leur peau.
Un patient avait une fois raconté à Eleonoora son expérience d’un état de grâce qui dépassait l’entendement. « Ce n’était pas un ange, ni Dieu non plus, ce que je voyais. Mais ça m’a pris dans ses bras, et j’avais l’impression que je ne connaîtrais plus jamais la solitude. C’était la sécurité absolue, comme celle qu’on éprouve enfant dans les bras de sa mère. »
Souvent, en observant le sommeil de ses patients, Eleonoora se demandait où ils se trouvaient pendant le temps de la narcose. Riitta lui avait dit un jour qu’ils avançaient simultanément vers leur naissance et vers leur mort. C’est une couche tout à fait singulière de la temporalité, je crois, avait-elle dit. Tous les souvenirs sont présents, toutes les personnes. Imagine à quoi ça doit ressembler, porter sa vie tout entière, la voir dans sa totalité, légèrement en retrait. Si tous les patients se souvenaient de leur état mental durant l’anesthésie, ils nous raconteraient ce qu’ils ont vu. Je crois que, en tant qu’expérience, cela rappelle l’état que l’homme connaît juste avant sa mort. On sait tout, on voit tout avec précision. Dommage qu’il soit si rare que les gens retournent parmi nous avec ce savoir.
Peut-être est-ce une bénédiction, avait pensé Eleonoora. Peut-être qu’on serait écrasé sous ce poids. Peut-être que le point de vue total sur la vie n’appartenait qu’à Dieu, si quelque chose de ce genre existait. Et aux morts, s’il y avait un au-delà. Et aux écrivains qui s’installaient hors de la vie et suivaient docilement la piste de chaque pensée, chaque sentiment de leurs personnages, projetant une lumière croisée sur les événements.
J’aime beaucoup le titre du livre et le thème qui touche aux mystères de la vie. Déjà le fait de sombrer dans le sommeil, soulève des myriades de questions.
Maintenant, il est peut-être préférable qu’on n’en sache pas trop. Parfois, j’ai envie d’adopter la certitude pleine de bon sens d’une voisine qui disait:
« Après la mort, on ne sait pas. Mais on doit y être bien là-bas, puisque personne n’en revient. »
Je suis tout à fait d’accord avec ta voisine Monique !
Mais comme tu dis, les mécanismes du sommeil soulèvent des questions assez fascinantes. On se sait jamais vraiment à quel moment on s’endort, on ne sait pas toujours non plus ce qui provoque notre réveil … J’espère que nous n’aurons jamais de réponse à ces questions, mais cela me fascine.