L’année dernière, j’avais participé au concours de haïbun des éditions L’iroli sur le thème « Quel animal ! » J’ai rédigé mon premier haïbun pour l’occasion et été à la fois sidérée et très heureuse et fière de voir figurer mon texte « Elle » dans la présélection et donc dans le recueil du concours.
J’ai donc décidé de réitérer cette année. Le thème était « Soleil levant ». L’expression m’évoquait beaucoup de choses, sans pour autant réellement m’inspirer. J’ai laissé passer la date limite de participation qui avait été annoncée au départ. Puis j’ai été informée que la période de participation avait été prolongée et je me suis dit que c’était trop bête de ne pas y participer car j’aime beaucoup l’esprit du concours. Mais à deux jours de la nouvelle date limite, je n’avais toujours rien écrit. Laisser tomber ? Non, l’envie prenait trop de place pour me laisser en paix.
Via ma page Facebook, j’ai donc demandé à mes « amis » de me dire tout ce que leur évoquait l’expression « Soleil Levant ». Ils ont été plusieurs à me répondre et avec leurs mots, tous les mots qu’ils m’ont offert, j’ai tissé le texte de « Akai » qui signifie « rouge » en japonais. Et je l’ai donc envoyé.
La présélection vient d’être publiée sur le site de L’iroli et cette année, je n’en fais pas partie. Je ne suis pas déçue, je pense ne pas avoir assez travaillé mon texte ni surtout mes haïkus, j’ai écrit trop vite. Or la maison L’iroli est des plus exigeantes !
Mais je reste très attachée à cette histoire « Akai » inspirée par les mots que m’ont soufflé des personnes connues ou inconnues de moi sur Facebook et inspirée aussi des histoires de deux filles que j’aime énormément.
Ce texte est donc dédicacé à (dans l’ordre dans lequel ils ont répondu à mon appel sur Facebook) : Laëtitia Broggi, Eric Grange, Géraldine David, Stéphanie Pessoa et Marie-Christine Pantarotto.
Akai
Bleu pâle Ocre clair
Lisière d’un jour nouveau
Paysage dégagé
Elle attache son vélo à la petite barrière de bois et avance pieds nus dans le sable tiède. L’aube tout juste dessinée trace des dégradés de lumières épicées dans le ciel. L’horizon en longues langues fines et sinueuses délayées de rouge et d’orange vient lécher le bien-être qui s’allume en son sein. Elle s’assied tout doucement en retenant la grande écharpe chamarrée qui barre son torse des mêmes nuances que celles de ce point du jour balnéaire. Et son regard s’attache hypnotisé à la petite barque qui danse sur l’eau tranquille, au loin, telle une broderie en ton sur ton. Alors, comme un condiment d’éveil, elle reçoit le sel sur l’épiderme un peu frémissant, dans les yeux qui se brident et sur les papilles qui esquissent un sourire.
Timides lueurs d’Est
Impression Soleil Levant
Silence de Monet
Mais avec une violence brusque, les dernières semaines défilent comme une fulgurance dans sa tête et la laissent essoufflée. Le sel lui mord la peau, le sel lui arrache les yeux, le sel lui déchire le goût. Des ombres lui voilent l’esprit et effacent les premières lumières de la journée dont elle s’abreuvait quelques instants auparavant. Le paysage devient une lugubre et grise estampe.
Son nombril saigne et son ventre s’écartèle alors que le visage endormi de sa mère fait irruption derrière ses paupières. Son sang s’arrête alors que ses mains agrippent le sable par poignées pour le rejeter de toutes leurs forces en gestes saccadés comme elle a dû verser une poignée de terre sur une sinistre boîte de bois en ce jour funeste. Et son corps secoué de sanglots silencieux et de larmes sèches.
Et son corps secoué fait trembler l’écharpe chamarrée. Un gazouillis s’en élève et chasse les ombres. Le soleil inonde les bras qui bercent l’étoffe bariolée. « Bonjour mon ange ».
Alors son nombril se tend vers les veines du ciel et son ventre chante le lait des naissances nouvelles. Son sang irrigue la tendresse de ses mains qui caressent la peau neuve et dorée. Et son corps à l’unisson de la peau du nourrisson.
Un soleil d’aurore pour emporter une vie. Deux lunes. Un soleil d’aurore pour en accueillir une autre.
Elle soulève la petite Akai, l’astre rouge de son réveil, de sa résurrection et présente sa fille aux tendres rayons du matin.
Au lever du jour
Beauté simple de la plage
Chaleur douce d’espoir
Mariposa, à Bordeaux, le 9 février 2012 à 15h31
Voilà, j’espère que ce texte vous plaira malgré tout à vous lecteurs qui passez par ici et à vous « amis » facebookiens qui m’avez aidé à l’écrire.
Toujours habitée par l’atmosphère de ce texte, quelques jours plus tard, j’ai écrit un poème court dont j’aurais aimé intégré l’esprit dans le haïbun, mais il était déjà envoyé ! Le voici :
Projection
Plage à l’aube
Ciel pourpre noyé de sang
Traversé de veines bleues
Tel un utérus géant
Etendue peau à peau avec le sable
Mise en abyme
De son ventre rond.
Mariposa, en gare de Bordeaux, le 19 février 2012 à 11h08
Quel honneur d’être choisi pour te lire…ce texte est une petite merveille…assez troublant….Alors que je l’ai parcouru plusieurs fois,je devrais le relire demain….car je ne sais pas si le soleil d’aurore à emporté
ou accueilli…….Marie Christine
Il a fait les deux Marie-Christine, à deux lunes d’écart. Tu me redonneras tes impressions demain donc ! Merci encore !
OH! *O* excellent!
merci
Ravie que cela te plaise ma belle !
Ton texte exprime avec beaucoup de talent et de poésie ce que peuvent ressentir celles et ceux qui connaissent le bonheur d’une naissance et la douleur de la perte d’un proche au même moment.
Le haïbun est une forme d’écriture séduisante à laquelle je ne me suis pas encore essayée. Ca me donne envie de tenter l’expérience en dehors de tout thème imposé pour laisser libre cours à l’imaginaire…
Merci beaucoup Claire-Lise. Connaissant tes talents d’haijin, je pense que le haïbun t’ira très bien !