Rencontres – Le parfum

Le 5 avril 2018

Parfums – Luigi Russolo

Je marche dans la mi-nuit bordelaise. A mi-chemin entre la Victoire et la gare. Au mi-tan des échos multicolores de la soirée. Je sors d’une scène ouverte de poésie. Et les mots, les voix, les poèmes dansent encore fort, intenses, en moi. Je marche dans la mi-nuit bordelaise, à l’épicentre des émotions condensées qui font trembler mes sensations souterraines.

La rue ondoie le frou-frou glacé de son souffle autour de moi. Chuchotis d’hiver gelé qui fait grelotter tous mes atomes. Tandis que l’ivresse des alcools poétiques réchauffe et fait tressaillir les spasmes de mes vers à venir.

Et ça dure deux secondes. J’entre en conscience avec sa présence alors qu’il est à deux pas de moi. Ca dure deux secondes. Je devine à peine l’esquisse de son visage effilé, le brun onctueux et velouté de sa peau, mais je plonge dans les ténèbres magnétiques de son regard en amande aussi sombre que la nuit, aussi chaleureux que la lune. Ca dure deux secondes. On se croise, on se frôle et nos yeux restent aimantés, ne se lâchent pas, parlent leur propre langage qui ne nous regarde pas. Ca dure deux secondes. Pas un centimètre carré de ma chair n’échappe au frisson. Ca dure deux secondes. Pas une cavité de mon coeur ne résiste aux palpitations. Ca dure deux secondes. Nul recoin de mon être où cacher mon âme. Ca dure deux secondes. Nos yeux dansent une valse.

Et ça dure deux secondes. Alors que son bras effleure le mien, le bouquet tannique de son corps vient s’épanouir sur mes narines. Ca dure deux secondes. Je me perds dans ses effluves de cuir, d’écorce, d’humus, saupoudrés de basmati fringant et de curry entêtant. Ca dure deux secondes. Je me baigne tout entière dans ses arômes corsés qui mettent sur ma langue l’appel d’un vin puissant. Ca dure deux secondes. Je suis tout entière aspergée de son parfum.

Et ça dure deux secondes. Ses doigts frisent ma main. Ca dure deux secondes. Nos yeux toujours noués. Ca dure deux secondes. Et juste avant que le noeud ne se délace, le coin de ses lèvres fines s’étire en sourire. Croissant de lune. Etoiles dans les yeux. Deux secondes.

Patricia Houéfa Grange
Tous droits réservés



4 grains de pollen to “Rencontres – Le parfum”

  1. pauline dit :

    C’est beau!

  2. Claire-Lise dit :

    Quel texte ! Je l’ai reçu avec une force incroyable. Bravo !

    • Mariposa dit :

      J’en suis très touchée, Claire-Lise. Ce fut un moment magique. J’aime beaucoup ces rencontres éphémères, à Bordeaux ou ailleurs, qui ne durent que quelques secondes ou quelques minutes, sans qu’aucun mot ne soit échangé, en sachant qu’on ne se reverra certainement pas, mais où une rencontre a quand même effectivement lieu, de façon intense.

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