A l’origine notre père obscur

Le 26 janvier 2015

A l'origine notre père obscurA l’origine notre père obscur
Kaoutar Harchi
Actes Sud, 2014

Ceci est le dernier livre que j’ai lu en 2014. Je débordais d’envie de vous en parler mais il m’a tellement bouleversée que je ne sais par quel bout le prendre pour vous le présenter ! Je l’ai lu, fébrile et haletante, une première fois. Tout en m’attardant régulièrement sur plusieurs passages. Puis, depuis, je l’ai relu une bonne dizaine de fois ! C’est la première fois que cela m’arrive dans un laps de temps aussi court ! C’est un livre entêtant, qui m’a plongée dans une espèce de transe mêlée d’hypnose !

Il y est question de femmes recluses dans le huis clos d’une maison pour avoir, d’une façon ou d’une autre, sali l’honneur de leur famille. Bien que le mot « clos » ici ne soit pas tout à fait juste. En effet, la porte de la maison n’est pas verrouillée. Il suffirait que ces femmes le décident pour se libérer. Mais elles sont au final, leurs propres bourreaux, à la fois prisonnières et gardiennes du poids des traditions, soumises.

Et parmi ces femmes, deux en particulier, unies par un lien mère-fille à la fois fusionnel et silencieux, empli de non-dits et d’absence. L’histoire d’une femme amoureuse qui s’enlise peu à peu dans la folie et l’histoire de sa fille, amoureuse de sa mère, en manque physique de son père, en manque d’une existence propre. Ce roman est finalement aussi, d’une certaine façon, le récit initiatique de cette fille vers l’âge de l’identité et de l’existence propres, libérée et libre. Libérée du corps de la mère, libérée de l’aura du père, libérée du carcan des traditions, libérée de la « prison du corps », libérée d’une certaine forme de fatalité.

Ce qui m’a particulièrement touchée, c’est l’importance du(des) corp(s), personnage(s) à part entière de cet ouvrage.

Je pourrais vous parler encore et encore de ce roman, mais le mieux est que vous y plongiez ! Voici en avant-goût un de mes passages préférés lus par mes soins :

Je vous invite également à lire la note de lecture de La cause littéraire.

Voici aussi deux entretiens-vidéos très intéressants avec l’auteure :

– Une présentation de l’oeuvre par son auteure à la Librairie Mollat de Bordeaux :

– Kaoutar Harchi dans l’émission « Dans quelle éta-gère »

Enfin, je vous invite à lire cet entretien accordé à la Revue Ballast (Propos recueillis par Max Leroy & Maya Mihindou – Photo : Emilia Lombardo)

Ce livre m’a tellement secouée et bouleversée qu’il m’a permis de libérer un poème qui sommeillait en moi et qui rejoindra mon recueil poétique en préparation sur le corps des femmes :

A Maya Mihindou
A Kaoutar Harchi

La petite femme

Fillette
J’étais une brindille
F.D.F.
M’appelait mon père
Fil De Fer
Puis la petite femme
A frappé à mon corps
Elle a noirci mon sexe
Et versé mon premier sang
La petite femme
S’est installée dans ma chair
Elargissant mes hanches
Me dessinant des rondeurs
Emplissant mes courbes
Faisant rebondir mes seins
La petite femme
A pris possession
Des moindres replis de ma peau
Des moindres recoins de mon corps
Elle a tissé un fil rouge
Cordon ombilical
Entre moi et la lune
La petite femme m’a pris la main
Et m’a doucement, tendrement extirpée
Du cercle douillet du giron maternel
La petite femme m’a placée
Dans le cercle vierge du ventre de la Terre
Au tout début de mon chemin
Et la petite femme a dit d’une voix claire :
« Va. Désormais ton ventre sera le jardin du Monde.
Va. Désormais tu feras germer et fleurir la Vie.
Va. Désormais tu seras la mère de ta mère. »

Mariposa, Bordeaux, 10 décembre 2014



2 grains de pollen to “A l’origine notre père obscur”

  1. Monique dit :

    Un ouvrage que j’ai noté dans mes « à lire absolument ».
    Très beau ton poème qui décrit si bien le passage de la fillette à la femme. Deux entités tellement différentes qu’il faut réussir à faire coexister.

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