10 mai – « L’île du non retour »

Le 10 mai 2012

Aujourd’hui, nous sommes le 10 mai. En France, c’est ce jour qui a été choisi pour la commémoration des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions (en référence à la Loi Taubira).

Dans ce cadre, j’ai décidé de vous parler plus en détail d’un ouvrage poétique que j’ai lu tout récemment et qui s’inscrit complètement dans cette journée de commémoration :

« L’île du non retour »
Textes poétiques et poèmes de Monique Mérabet
Tableaux de Françoise Lucas
SURYA Editions, 2010

Je vous avais déjà glissé quelques mots sur cet ouvrage il y a quelques semaines. En voici quelques-uns de plus afin de vous faire complètement y plonger !

Quatrième de couverture :

L’île du non retour … c’est ainsi qu’on a pu qualifier Gorée, point de départ de tant de bateaux négriers. Ils venaient souvent débarquer leur honteuse cargaison sur les rivages de l’île Bourbon … elle aussi île du non-retour pour ces milliers d’humains rabaissés au rang de « biens » au même titre que le bétail.

Côté mer, une île-prison, dont personne ne s’évada jamais. Seules les montagnes inviolées offraient encore une espérance aux marrons. C’est à eux que j’ai voulu rendre hommage par ces textes venus du tréfonds de mon âme marronne.

J’ai voulu aussi saluer la mémoire de Censée Stanislas, cette aïeule qui m’a faite telle que je suis « un peu blanche, un peu noire ».

Monique Mérabet

« L’île du non-retour » est un ouvrage à la fois étreignant et lumineux, plein d’espoir. Il nous ramène des siècles en arrière sur les pas des esclaves puis des marrons. Débarquement, vente, aliénation, humiliation, tentative de conserver un peu d’espoir et de s’inventer quelques moments de « bonheur », révolte, marronnage. C’est un ouvrage qui dit aussi La Réunion, son identité ou plutôt ses identités, l’espoir d’un monde nouveau où la vie ensemble est possible.

Extraits :

L’ESCLAVE ABANDONNE

Ils m’ont abandonné sur le triste rivage,
Animal moribond que l’on n’ose achever,
Les yeux encore emplis de l’horreur du voyage
Qui me jeta, captif, sur ce sol étranger.

Sans cris, j’ai vu passer la pitoyable chaîne
De mes frères soumis à terrible destin.
Je ne les suivrai pas au coeur de leur géhenne ;
L’ombre éteindra bientôt mon tout dernier matin.

Je deviendra l’oiseau que nul maître n’encage
Et qui, d’un libre essor, marronne son envol.
Je deviendrai zéphyr taquinant un nuage
En quête du soleil ainsi qu’un tournesol.

J’attendrai le grand souffle ébouriffant les nues ;
Il me fera voguer jusqu’à mon ciel natal
Et mon esprit serein, ses marques reconnues,
Saura fuir les tourments d’un shéol infernal.

PRIERE POUR UN KAF MARRON

Je prie pour que jamais il ne revienne
Zidor, mon beau cafre ambré.
Je prie que jamais on ne le ramène,
le fer enserrant son pied.

Quand je croise, sur la place de l’église,
l’arbre aux abominables trophées,
je prie que sa main, à ma caresse promise,
ne se trouve sanglante, à mes yeux exposés.

Je prie la brise de lui porter les nouvelles
des enfants dont il m’a ensemencée.
Ils grandissent, jouant sous la tonnelle,
par leur frêle enfance, encore préservés.

Je prie en secret pour qu’il me revienne
le soir, quand mon coeur se défait.
Je prie pour qu’avec lui, mon bien-aimé m’emmène
goûter à l’écume de la liberté …

BIDENTITE

On me dit blanche et toi noire ; ma peau est un peu blanche, un peu noire. Je n’en tire ni honte ni gloire.

I di moin lé blan, toué lé noir
ma po lé in pë noir,
in pé blan
moin la pa onte, mi fé pa lo vayan.

La ronde généalogique qui rayonne dans mon être, mélangeant esclave et maître, possédant et pauvre hère, chasseur et marron tout ensemble, au commencement à la tienne ressemble.

Tralé toute bann zansèt
I fé inn ronn dan ma tèt :
navé lésklav, navé lo mète,
navé té mizèr, navé té i guingne bien ;
in pë té shasër, in pë té maron ;
I arsanm la tiène kan i armonte loin.

Ma lignée n’a pas choisi la route droite et monotone ; comme les nonchalantes lianes, elle vagabonde en zigzaguant de peuple en peuple, de gène en gène, et dans son ondoyante course, elle croise ta ligne et la suit.

Shomin  bann ma jénérasion
la pa in santié galizé ;
konm inn liane i grinp ti lanp – ti lanp,
lï la marone lidantité
dann san toute sorte popilasion ;
é dann toute son tourné viré
I suiv ton shomin konm in dalon.

Je suis comme toi, île sans frontière, fille de la terre et du cosmos étoilé ; notre culture, papillon polychrome, a butiné de ci, de là ; et au fond de notre coeur-corolle, une rose des vents s’est épanouie.

Dan nout lang i shante kréol
toute péi la amaye inn ti mo dou ;
nout kïltïr, papiyon toute koulër
la bèk inn ti goute la rozé in pë partou
é dann basin blë not fonn kër
in sièl lorgandi i rouv son parasol.

A l’arbre du jardin qui donne, saveurs de miel, subtils arômes et fleurs vermeilles, on ne demande pas si ses racines tirent leur sève du sable blond, de la sombre lave, de l’humus de riches forêts ou du fumier.

Lër in piédboi la kour i done
lodër la roz,
lo gou mièl vér,
i agarde pa si son rasine
i sar rod do lo
dann sabe la mèr, dann rosh volkan,
dann tèr grass la foré
ou dann fïmié.

Les origines de mon histoire peuvent bien rester mystères cachés. Je n’en tirerais ni honte ni gloire.

Koman la komanse mon listoir ?
I pë arès dann gran fénoir …
Moin noré pa onte, mi fré pa lo vantar.

Voilà, j’espère que cela vous aura donné envie de lire ce recueil dans son intégralité.

En attendant, je vous invite à (re)découvrir mon poème « EIA ! Chant Métis de la Sérénité retrouvée » que j’ai lu cet après-midi, en duo et en le mêlant au slam de mon amie Karen Toris, sur les quais de Bordeaux lors de la cérémonie officielle du 10 mai.



6 grains de pollen to “10 mai – « L’île du non retour »”

  1. Claire-Lise dit :

    Je trouve ces extraits très poignants. J’aime beaucoup l’écriture de Monique Merabet. De cette bidentité, elle fait une richesse et une force. Ses poèmes sur l’esclavage sont remarquables.

  2. […] Ces derniers mois, je vous ai parlé à plusieurs reprises de Monique Mérabet et de sa poésie venue de l’Ile de la Réunion, notamment ici et ici. […]

  3. Thomas dit :

    Salut Patricia !

    Où pourrait-on se procurer cet ouvrage, je suis très intéressé !

    A bientôt.

    • Mariposa dit :

      Salut Thomas, je vais contacter Monique, l’auteure, qui vit à la Réunion et lui demander si elle a encore des exemplaires. Je pense que l’ouvrage n’est disponible qu’à la Réunion ou par correspondance auprès de Monique. Je te tiens au courant !

  4. […] J’en profite pour vous rappeler l’existence de ce très bel ouvrage poétique de Monique Mérabet : « L’île du non-retour » aux Editions Surya. Je vous en avais parlé là. […]

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